L’Autorité de la concurrence condamne le groupe EDF pour abus de position dominante, en violation de l’article L. 420-2 du Code de commerce et de l’article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne.
Par une décision du 22 février 2022, n° 22-D-06, l’Autorité de la concurrence sanctionne EDF, opérateur historique de l’électricité en France, ainsi que certaines de ses filiales, pour avoir exploité de manière abusive des moyens non-reproductibles par ses concurrents dont elle disposait par l’exercice de sa mission de service public de fourniture de l’électricité au tarif réglementé de vente, pour préserver sa position dans le secteur de l’énergie et limiter le développement de ses concurrents.
Les pratiques reprochées à EDF s’inscrivent dans un contexte de libéralisation du secteur de l’énergie. Celle-ci s’est faite progressivement depuis la fin des années 2000 et marquera en 2016 la fin des tarifs réglementés de vente (TRV) pour certains segments de clientèles, notamment professionnels. Le groupe EDF bénéficie d’une position historique dans le secteur de l’énergie. Les contrats conclus avec des clients professionnels comme particuliers ont été l’occasion pour le fournisseur de récolter à tous les stades du contrat des informations commerciales stratégiques afin de proposer des offres les plus adaptées possibles aux besoins des consommateurs.
EDF a utilisé les données collectées auprès des fichiers de clients éligibles au TRV pour développer sa stratégie de conquête relative aux services énergétiques et au gaz. L’infrastructure commerciale consacrée à l’activité de fourniture d’électricité au TRV a servi à détecter les besoins de la clientèle et à proposer des offres complémentaires, le tout avec une connaissance aiguë de la demande dans sa globalité via des informations précises et actualisées. Le groupe a cherché à renforcer sa présence sur les marchés connexes de fourniture de gaz et de services relatifs au secteur de l’énergie.
L’Autorité de la concurrence a été saisie par la société ENGIE le 19 juin 2017 qui reproche à son concurrent d’avoir usé abusivement des fichiers clients relatifs au TRV tout en dégradant ou refusant de communiquer les données des clients professionnels et particuliers aux concurrents alternatifs. L’Autorité prend appui dans son raisonnement sur l’avis rendu en 2018 par la Commission de régulation de l’énergie.
L’Autorité considère qu’EDF détenait une position dominante de longue date, et déjà au moment où les pratiques reprochées ont commencé, sur les marchés de fourniture au détail d’électricité aux sites résidentiels et non résidentiels de petite, moyenne et grande taille. L’entreprise possède en effet une forte image de marque, la qualité d’opérateur historique sur le marché ainsi qu’une structure verticalement intégrée présente sur toute la chaîne de valeur de production et de fourniture d’électricité en France.
La position dominante d’EDF lui a permis d’exploiter de manière abusive les moyens existants dans le cadre de la mission d’opérateur au TRV. Ces moyens, se traduisant par des fichiers de clients ainsi que l’infrastructure commerciale relative au TRV, sont retenus comme un avantage concurrentiel et impossible à reproduire par les concurrents dans un délai et pour des coûts raisonnables.
Les pratiques en cause ont eu des effets anticoncurrentiels, en contradiction avec la volonté de libéralisation du secteur par les pouvoirs publics. D’abord, EDF a pu convertir ses clients au TRV à des offres de marché en matière de fourniture d’électricité suite à la disparition de TRV pour les entreprises à moyenne, forte et très forte consommation d’électricité. Ensuite, en fidélisant les clients à des offres multi-services proposées par lui et ses filiales, l’opérateur historique a pu priver de débouchés les acteurs alternatifs qui pouvaient pourtant offrir des prestations à des tarifs davantage attractifs sur le marché du gaz.
Les pratiques sont considérées comme très graves, ces dernières étant le fruit d’une stratégie globale, cohérente, volontaire et sans équivoque sur leur caractère anticoncurrentiel de la part d’EDF. Le dommage à l’économie est lui certain, bien que variable entre les différents segments de marché.
L’Autorité estime que les pratiques reprochées sont de nature à caractériser une réitération, en écho à une décision du 17 décembre 2013 sur l’exploitation abusive d’avantages tirés d’une situation d’opérateur historique par EDF sur des marchés connexes.
EDF sollicite, lors de l’instruction, la procédure de transaction visant à diminuer le montant de la sanction pécuniaire, en proposant des engagements par application de l’article L. 464-2, III du Code de commerce. La société s’oblige à mettre à disposition les fichiers clients au TRV bleu, c’est-à-dire des particuliers et des petits professionnels, pour les concurrents fournisseurs d’électricité qui peuvent en faire la demande, et à dissocier les parcours de souscription à contrat par téléphone des clients au TRV bleu de ceux en offre de marché.
Le collège de l’Autorité prononce à l’encontre d’EDF et de ses filiales une amende de 300 millions d’euros, tout en rendant obligatoire les engagements mis en avant pour trois ans renouvelables à compter de la notification de la décision.
Rédigé par Arthur Beldent.