Les indemnités des dommages causés à l’aquaculture par la faune sauvage protégée peuvent-elles être qualifiées d’aide d’Etat au sens du droit de la concurrence ?
Quand un dommage a été subi, l’entreprise en cause est tenue de le réparer. Toutefois, si les coûts engendrés entrent dans le fonctionnement normal de cette dernière, une indemnisation peut être octroyée. Dans ce cas, il faut savoir si l’avantage conféré constitue une aide d’Etat.
Dans le secteur de la pêche et de l’aquaculture en Lettonie, une demande a été effectuée en 2017 par une société lettone auprès d’une autorité nationale protégeant l’environnement afin d’obtenir une indemnisation pour les dommages causés à son exploitation. Alors qu’en 2002, lors de la construction de deux immeubles, ce n’était qu’une simple réserve naturelle protégée, elle est devenue en 2005 un site Nature 2000. Le réseau européen Natura 2000 prend en compte les enjeux de biodiversité dans les activités humaines. Pour ce faire, les directives « habitat » 92/43/CEE du 21 mai 1992 et « oiseaux » 2009/147/CE du 30 novembre 2009 protègent de multiples détériorations des zones précises et des espèces sauvages.
L’autorité nationale refuse la demande d’indemnisation au motif que la société aurait ultérieurement reçu une somme de 30 000 € au regard de la règle de « minimis ». La société invoque que cette compensation ne serait pas une aide d’Etat.
Suite à une question jurisprudentielle posée par la juridiction nationale de Lettonie en dernier ressort, la Cour de Justice de l’Union Européenne (« CJUE ») se prononce sur les trois questions suivantes :
L’article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union portant sur la limitation du droit de propriété est-il opposable aux pertes subies par le demandeur ?
Dans les directives « habitat » et « oiseaux », aucune indemnisation n’est prévue pour les dommages causés aux propriétés privées. Il faut toutefois noter que ces mêmes directives énoncent que des mesures appropriées doivent être prises pour éviter la détérioration des habitats naturels et pour protéger des espèces sauvages, notamment dans des zones spéciales tel que le réseau Natura 2000.
Les obligations qui sont liées à ce réseau ne constituent pas une privation du droit de propriété mais plutôt la restriction d’un usage, conformément à l’article 17 paragraphe 1 grand III de la Charte. Cette restriction s’apparente à une limitation du droit de propriété d’un secteur pouvant être soumis à des recommandations, voire des interdictions. Ainsi, elles doivent être encadrées et ne peuvent pas être démesurées et intolérables. Néanmoins, elles doivent toujours répondre à un but d’intérêt général.
En l’occurrence, la protection de l’environnement peut justifier la restriction à l’usage du droit de propriété étant donné que des espèces protégées se trouvent sur ce site, conformément aux directives. L’activité d’aquaculture doit donc être encadrée. Or, en l’espèce, l’indemnisation correspond aux pertes subies en raison de mesures de protection liées au réseau Natura 2000.
L’indemnisation sollicitée constitue-t-elle une aide d’Etat au sens de l’article 107 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (« TFUE ») ?
Une indemnisation doit être considérée comme un avantage économique que la société n’aurait pas pu obtenir dans des conditions normales de marché. Ces avantages comprennent des coûts supplémentaires que les entreprises doivent supporter. Ainsi, la société de Lettonie se trouvant sur une zone Natura 2000 doit répondre à des obligations légales particulières pour lesquelles elle n’aurait pas dû répondre si elle n’avait pas fait partie de ce réseau. L’avantage consenti n’annule pas le caractère compensatoire d’une perte subie. Ainsi, cette indemnisation est à analyser au regard des critères cumulatifs de la jurisprudence « Altmark » dégagée par la CJUE en 2003 à savoir :
- obligations de service public clairement définies ;
- paramètres de la compensation calculés de façon objective et transparente en amont ;
- aucune surcompensation ;
- mission de service public :
– en cas de procédure de marché public afin de sélectionner le candidat proposant la solution la moins onéreuse ;
Ou
– en cas de niveau de compensation reposant sur une analyse des coûts d’une entreprise bien gérée et adéquatement équipée, satisfaisant aux exigences de service public.
Si ces quatre critères sont remplis, la compensation versée ne constitue pas une aide d’Etat. En l’espèce, la société doit se conformer à des obligations, or cela ne signifie pas qu’elle est soumise à une mission de service public. Ainsi, une indemnisation accordée par un Etat membre au titre des pertes subies par un opérateur économique pour la protection d’une zone de réseau Natura 2000 confère un avantage susceptible de constituer une aide d’Etat au sens de l’art 107 paragraphe 1 TFUE malgré le fait que les autres conditions de l’arrêt « Altmark » soient remplies.
Si l’indemnisation rentre dans le domaine des aides d’Etats, le plafond prévu par le règlement de minimis s’applique-t-il à hauteur de 30 000 € ?
L’indemnisation en cause ne rentre pas dans les exceptions prévues par l’article 3 paragraphe 2 du Règlement n°717/2014, ce qui signifie que les Etats membres gardent le choix de plafonner l’aide à 30 000 € pour éviter une notification à la commission. En l’espèce, l’autorité nationale aura le choix de la hauteur du montant. Ainsi, l’indemnisation versée peut très bien être sensiblement inférieure aux dommages réellement encourus par l’entreprise, soit inférieure aux 30 000 € de la règle de « minimis » prévu par ledit règlement.
Rédigé par Eva Laurent.