Carrefour c/ Vania : L’assignation de Vania par Carrefour dans le cadre d’une action en follow-on

Carrefour souhaitait obtenir des dommages et intérêts sur le fondement de la condamnation par l’Autorité de la concurrence de Vania pour sa participation à une entente anticoncurrentielle. Cette demande a été refusée par la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 5 janvier 2022, la société Carrefour n’ayant pas su justifier l’absence de répercussion du manque à gagner sur le consommateur. 

La société Vania avait été condamnée à payer 43,96 millions d’euros d’amende par l’Autorité de la concurrence, par une décision n°14-D-19 du 18 décembre 2014, dans le cadre d’une entente qui consistait à maintenir ses marges sur les prix pratiqués à l’égard de la grande distribution. En 2017, la société Carrefour a assigné la société Vania dans le cadre d’une action en follow-on, notamment au visa de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, de l’article L. 420-1 du Code de commerce, et de l’article 1240 du Code civil, afin d’obtenir réparation des surcoûts sur sa vente des produits d’hygiène, du fait de la participation de Vania à l’entente anticoncurrentielle. Le 4 novembre 2019, Vania a été condamnée par le Tribunal de commerce de Paris à payer 2 millions d’euros de dommages et intérêts à Carrefour en raison du préjudice subi sur ses marges arrière. 

La société de produits hygiéniques a interjeté appel. La chambre 5-4 de la Cour d’appel de Paris répond en plusieurs motifs. 

Le premier porte sur la prescription de l’action. La Cour cite l’article 2224 du Code civil disposant que les actions, qu’elles soient « personnelles ou mobilières », se prescrivent dans les cinq ans à partir du moment « où le titulaire du droit a connu les faits lui permettant de l’exercer ». Les juges du fond retiennent alors que le délai de prescription court à compter de la date de décision de l’Autorité de la concurrence, donc au 18 décembre 2014, date de condamnation de la société Vania pour entente anticoncurrentielle. L’assignation par Carrefour de la société Vania datant du 23 janvier 2017, la prescription quinquennale n’était en l’espèce pas acquise.  

Le deuxième porte sur le bien-fondé de la demande de dommages et intérêts par Carrefour. La Cour rappelle que la société demanderesse doit démontrer qu’elle a subi un préjudice et une faute, tous deux devant satisfaire à la condition du lien de causalité. La Cour d’appel cite la directive « Dommages » de 2014, et son ordonnance de transposition de 2017, qui présumerait que toute infraction commise lors d’une entente anticoncurrentielle constitue un préjudice. Cela étant, au regard de l’article 22 de la directive, cette dernière ne s’applique pas de manière rétroactive. La Cour écarte ainsi l’ordonnance de transposition de la directive de 2017 aux faits d’espèce, ces derniers ayant eu lieu entre 2003 et 2006. Néanmoins, les dispositions de l’article 1240 du Code civil restent applicables. 

Le troisième motif porte sur l’existence d’une faute civile. La Cour d’appel affirme que l’infraction commise par Vania avait effectivement été constatée par l’Autorité de la concurrence, au sens des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce. L’infraction constituerait ainsi une faute civile délictuelle au sens de l’article 1240 du Code civil. 

Le quatrième motif porte sur l’existence du dommage lié à l’entente. La Cour d’appel devait alors s’interroger sur la réalité du préjudice subi par Carrefour sur ses marges arrière, et l’absence de répercussions sur ses marges avant. 

Concernant les marges arrière, Vania contestait la causalité entre l’entente et le préjudice subi par Carrefour. La Cour d’appel vient affirmer que la décision de l’Autorité de la concurrence, ainsi que dans son arrêt confirmatif de 2016, démontraient un lien direct entre la perte de marge arrière et l’entente anticoncurrentielle.  L’existence  d’un lien direct entre la perte de marge arrière et l’entente anticoncurrentielle ayant donné lieu à condamnation.

Au sujet des marges avant, la Cour d’appel retient que c’est à la société demanderesse de prouver l’existence de la faute, du préjudice et le lien de causalité. Carrefour affirme que l’entente visait à diminuer ses marges arrière. La Cour a alors vérifié si Carrefour avait répliqué la diminution de ses marges arrière sur ses marges avant. La société devrait être en capacité de démontrer qu’elle n’avait pas répercuté aux consommateurs la diminution de ses marges arrière liée à l’entente anticoncurrentielle, ce qu’elle n’a pas été en mesure de faire en l’espèce. 

Une question préjudicielle avait été, en outre, soulevée par la société demanderesse « Le fait d’exiger que la victime d’une entente ne puisse obtenir réparation du préjudice qui en découle que si elle rapporte la preuve comptable qu’elle n’a pas répercuté le manque à gagner sur le consommateur, alors que la victime n’est pas en mesure de fournir une telle preuve, est-il contraire à l’article 101 TFUE et à son principe d’effectivité ». Cependant, le juge d’appel écarte cette dernière au visa de l’article 267 du TFUE, en ce qu’il n’y a « pas lieu de restreindre la preuve de la non-répercussion du manque à gagner sur le consommateur » à « la seule comptabilité », et que cette preuve « n’est ni impossible, ni excessivement difficile ». La question ne soulèverait alors pas de difficulté sérieuse à la résolution du litige

Finalement, le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris est infirmé par la Cour d’appel de Paris. Carrefour n’a pas su rapporter la preuve de l’absence de répercussion de la diminution de ses marges arrière sur ses marges avant, nonobstant l’existence d’un lien direct entre la participation de la société Vania à l’entente anticoncurrentielle, et le préjudice subi par Carrefour. La société de la grande distribution a dès lors été condamnée à payer à Vania 60 000 € de frais de recouvrement au titre de l’article 700 du Code de procédure civile. 

Rédigé par Thomas Deschamps