L’Autorité de la concurrence sanctionne le producteur de sucre et de mélasse Tereos Océan Indien pour abus de position dominante.
Par une décision en date du 2 novembre 2021, l’Autorité de la concurrence sanctionne Tereos Océan Indien (« TOI »), une filiale du groupe Tereos, pour avoir abusé de sa position dominante en verrouillant les possibilités de sortie du contrat d’approvisionnement en mélasse, produit qui est utilisé pour la fabrication de rhum local et dont il est le seul fournisseur sur l’île de la Réunion.
La mélasse est un des coproduits de la fabrication du sucre de canne utilisé par les distilleries de La Réunion pour produire de l’alcool, lequel est appelé « rhum traditionnel » ou « rhum de sucrerie ». La mélasse est indispensable pour les trois distilleries de l’île pour produire le Rhum de La Réunion sous indication géographique contrôlée. Or, TOI possède les deux seules sucreries actives à La Réunion.
Par une saisine de l’Autorité de la Concurrence, la Société Réunionnaise du Rhum (« RDR ») qui possède la distillerie de Savanna (« DSAV ») – une des trois distilleries de La Réunion –, dénonce des pratiques de discrimination tarifaire dans la mesure où, s’agissant de la mélasse utilisée pour produire du rhum commercialisé sur le marché local, TOI pratiquerait à son égard des prix très supérieurs à ceux qu’elle pratique à l’égard d’une autre distillerie réunionnaise.
D’une part, l’Autorité relève que TOI est en monopole sur le marché identifié de l’approvisionnement de la mélasse produite à partir de canne à sucre cultivée à La Réunion vendue à destination des distilleries locales.
L’Autorité estime par ailleurs que cette position de monopole apparaît peu contestable. En effet, la construction d’une nouvelle sucrerie sur l’île apparaît peu probable dans la mesure où la production sucrière est une activité structurellement déficitaire à La Réunion.
Elle relève, en outre, que les distilleries ne disposent pas d’une puissance d’achat compensatrice suffisante pour priver TOI de sa position dominante sur le marché de la mélasse de La Réunion vendue aux distilleries, quand bien même les clauses du contrat invoquées par TOI empêchent cette dernière d’augmenter unilatéralement ses prix, en ce que, selon l’Autorité, cela n’exclut pas que les prix aient déjà été fixés à un niveau supra-concurrentiel du fait de sa position dominante.
D’autre part, l’Autorité a considéré que la différenciation tarifaire soulevée par la saisissante était avérée en ce que DSAV, placée dans une situation équivalente, a subi un traitement différencié. Cependant, l’Autorité indique dans son communiqué que cette différenciation, dans les circonstances particulières de l’espèce, n’était pas constitutive d’un abus de position dominante, dans la mesure où il n’était pas établi qu’elle créait un désavantage dans la concurrence.
En effet, l’Autorité a considéré qu’un nombre d’éléments indiquait que la position concurrentielle de DSAV n’était pas affectée par la différenciation tarifaire. L’Autorité a pris en compte notamment le fait que cette distillerie bénéficiait de marges suffisantes pour pouvoir animer la concurrence, et que le groupe auquel elle appartient possède la marque de rhum de La Réunion la plus renommée, le Rhum Charrette, lequel représente plus de 85 % des ventes de rhum traditionnel sur le marché local.
En revanche, l’Autorité a accueilli le grief n°2 notifié par les services d’instruction, considérant que TOI a abusé de sa position dominante en prévoyant, dans ses contrats d’approvisionnement avec deux des distilleries dont DSAV, des clauses restrictives qui portent atteinte au libre jeu de la concurrence.
Ces deux clauses limitent la faculté des distilleries de sortir de leur relation contractuelle avec l’entreprise sucrière :
• La première clause fixe une indemnité financière de 5 millions d’euros pesant sur la partie qui voudrait dénoncer le contrat, et ce, alors même que cette dénonciation n’est possible que tous les cinq ans, avec un préavis de trois ans. Le montant de cette indemnité est apparu à même de décourager les distilleries de mettre fin au contrat, donnant à l’engagement contractuel des distilleries un caractère quasi perpétuel.
• La seconde clause prévoit une interdiction de revendre la mélasse sur le marché réunionnais, constituant une restriction excessive et injustifiée.
Dès lors, l’Autorité a considéré que ces clauses constituaient un abus de position dominante de la part de TOI et qu’elles contribuaient à verrouiller le marché et à empêcher les distilleries de renégocier les conditions de leur approvisionnement en mélasse.
Par conséquent, après avoir constaté la gravité et la durée des pratiques, l’Autorité indique que le montant de la sanction serait situé entre 1 et 1,5 million d’euros. Or, l’Autorité a imposé à Tereos Océan Indien, solidairement avec ses deux filiales, Sucrière de La Réunion et Sucrerie de Bois Rouge, une amende de « seulement » 750 000 euros.
En effet, il s’agit de la sanction maximale qui pouvait être appliquée en cas de procédure simplifiée, applicable et mise en œuvre en l’espèce, par application du plafond légal qui était prévu à l’article L. 464-5 du Code de commerce pour le cadre des procédures simplifiées.
A cet égard, la loi du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne (DDADUE) a supprimé le plafonnement à 750 000 euros de la sanction pécuniaire pouvant être infligée à chacun des auteurs des pratiques. Une telle réduction de peine ne devrait donc plus se voir à l’avenir.
Quoiqu’il en soit, Tereos Océan Indien semble être dans la mélasse ….
Rédigé par Lucas Horeau